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208 RAOUL DE SCEAUX du malade, je suis contraint de n'y marcher qu'à tastons et comme à pas de tortue, mais le heurt et la cheute inopinée que je fais au mesme temps dessus un mort trouvé roide emmy la chambre m'apprennent et par les pieds et par les mains et surtout par les narines... ce que les yeux pour lors ne me pouvoit faire cognoistre, toute lumière me défaillant... Je tastonne par cy par là, au travers des ténèbres, mais au lieu de la porte que je cherche, je ne rencontre que la fenêtre, et moy, joyeux dans la tristesse mesme... je me prends à huer et à requérir du premier accouru du voisinage, quelque petit bout de chandelle allumé à la faveur de ce feu nouveau qui ne m'est tendu que de loing, et encore au bout d'une longue perche entrefendue, et qui semble trembler d'effroi... Je reprends un peu mes esprits esgarez, mais pour les reprendre encore une fois, si tost que je tourne visage a costé de moy, ou je considère, estendu sur le carreau tout abbreuvé de sang, un homme tellement effroyable... Il avoit les cheveux aussy noirs que la suye, la barbe de mesme tout engrommellée de sang figé, les yeux rouges comme feu, enfoncez et de travers, le nez tout cail– lebotté de sanie, la bouche qui vomissoit encore a gros bouillon le venin d'une escume aussi noire que l'encre double, une parotide au dessoubs de l'oreille droite, un monstrueux charbon au bas de la lèvre qui s'estendoit jusques sur le menton, et le reste du corps, outre ce qu'il estoit aussi livide que plomb, se voyoit estre grainellé de gros– ses exanthèmes et taches de pourpre » 55 . L'exemple héroïque du P. Michel-Ange se retrouvait dans les autres villes victimes de l'épidémie, ou les capucins se dévouaient jusqu'à la mort, tel ce P. Laurent de Beauvais qui, ses études termi– nées, s'offrit spontanément à soigner les pestiférés de Montdidier. Après avoir travaillé inlassablement et « rendu la vie de l'âme à plu– sieurs abandonnez de leurs proches», il mourut après cinq semaines de souffrances supportées avec une patience inlassable 56 . À Reims, dès 1635, l'échevinage avait prescrit de faire bâtir des « loges pour les pestiférés ». Installés dans l'une d'elles, au quartier de Clairmarais, les capucins s'occupaient des malades des environs, et le Conseil de ville prescrivit même de faire l'achat d'un cheval « pour monter le capucin de la Santé pour faciliter les visites qu'il luy convient faire des hommes malades de la contagion »57 . Parmi ces religieux, se trouvait le P. Jean François de Reims, appelé à deve– nir, en 1654, en même temps que gardien du couvent de Saint-Hono– ré58, un grand auteur spirituel. Spécialisé dans la désinfection des maisons suspectes, il nous indique les moyens curieux dont il usait 55 MICHEL-ANGE DE GUÉRET, op. cit., avant-propos [n.pag.]. 56 Bibl. nat., f.fr . 25.044, p.424; f.fr . 25.045, p.59. 57 UBALD o'ALENÇON, Les Frères Mineurs Capucins de Reims, 15. - À Beauvais, la peste ·avait arrêté les travaux d'agrandissement du couvent, témoin le testament du chanoine Aucher, du Chapitre cathédral de Beauvais qui leur remet tout ce qu'ils lui peuvent devoir « a cause des bastiments et réparations que j'ay fait faire et réparer depuis trente ans » ·(Arch. dép. Oise, G 695). os EMMANUEL DE LANMODEZ, O.F.M.Cap., Les Pères Gardiens des capucins du couvent de .la rue Saint-Honoré, Paris 1893, 18.

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