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126 HENRY MÉCHOULAN «Immaturité de l'Europe» mais également choix des envoyés: beau– coup de nos auteurs veulent délester l'Espagne des crimes qu'on lui impute généralement en soulignant que les conquistadors ne représen– taient pas leur pays: «Espagnols, pardonnez nos reproches á vos an– cétres, ils ne vous ont transmis que leur courage, et comme nous, vous détestez leur barbarie. Que dis-je ils n'étaient pas les descendants de ces braves Castillans qui jadis défendirent leur liberté dans les foréts de l'Asturie et qui repousérent le Maure sous les banniéres du Cid. C'était le rebut de l'Espagne, c'étaient de vils aventuriers ... !" 51 . L'Es– pagne a aussi offert au monde les voix de la conscience et ici l'abbé Genty s'oppose á Montesquieu en avanc;;ant les noms de Las Casas et de Montesinos dont il rappelle la pathétique injonction et il souligne le róle bienfaisant de la religion qui a enflammé ses ministres d'un «zéle .ardent pour la cause de l'humanité»: dominicains et jésuites, selon lui, ont eu un róle exemplaire, ils ont sauvé l'honneur de l'homme et celui de Dieu 52 • Toutefois il ne justifie pas la conduite d'autres religieux et notre abbé n'en veut pour preuve que «l'ess~irn.~gie;:1-~moines qui s'abbatit sur le Nouveau Monde pour dévorer la substance des nouveaux établissements du Mexique et du Pérou» 53 . • Mais toutes les explications, les justifications destinées á montrer la supériorité des Lumiéres sur la barbarie des siécles antérieurs se heurteront á un constat dressé par l'auteur du Mémoire de 1792: «Tandis que nous détestons les injustices et les crimes de nos péres ... " ne les avons-nous pas imités «en remplac;;ant les races d'hommes, détruites en Amérique par d'autres races enlevées á une autre partie du monde, en flétrissant ces nouveaux habitants de l'empreinte de la propriété, en les traitant comme des instruments de culture et de vils objets de com– merce, en dégradant, en profanant l'humanité» 54 • Si ces droits sont bafoués, íl ne peut y avoir de bonheur pour personne et c'est l'espoir dans le progrés et la raison qui est maintenant mis en question. Com– ment l'Europe des Lumiéres peut-elle juger la colonisation espagnole alors que toutes les nations qui la composent sont responsables de la servitude des négres, de la traite qui profite tant á l'Angleterre et á la France? Ce n'est pas assez d'avoir autrefois porté le malheur dans un continent, il faut que maintenant l'Europe consomme celui de l'Afri– que. La réflexion sur la découverte de l'Amérique dans son rapport avec le bonheur de l'Europe ne peut ni ne veut éviter le probléme de l'esclavage. Bien au contraire la situation de l'Afrique, le sort des négres occupent une place presque plus importante dans l'ensemble de nos textes que celle des Indiens. Les Cortés et les Pizarre ne sont plus tandis que les négriers sévissent impunément. Ne craignons pas -s'écrie l'abbé Raynal- de citer au tribunal de la lumiére et de la justice éternelles les gouvernements qui tolérent cette cruauté ou qui ne rougissent pas 51 Manuscrit n. 7 (rec;u le 30 mars 17871 fol. 18' et manuscrit n. 10 (rec;u le ler avril 1789) fol. 227. Ces manuscrits, quoique écrits par deux mains différentes, sont pratiquement identiques tant pour ce qui est de leur inspiration que du choix des formules rhétoriques. 52 Abbé Genty, op. cit., pp. 87 et suiv. 53 Ibid., p. 139. 54 Op. cit., p. 37.

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