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LA DÉCOUVERTE DE L'AMERIQUE AU GENRE HUMAIN 127 Colomb n'était pas encore «assez éclairé» pour briser les chaines du fanatisme et de la superstition dont l'Espagne elle-méme était la .vic– time. «C'eút été révolter tous les esprits de proposer la découverte d'un nouveau monde uniquement pour porter a des peuples nouveaux les príncipes d'un bonheur dont on n'avait pas idée et d'une religion dont "/ on défigurait le caractére auguste» 45 • Et l'abbé Genty de souligner a son tour l'état d'une Europe plongée dans les ténébres de l'intolérance qui aurait dú -mais le pouvait-elle?- faire un autre usage de cette découverte, l'utiliser pour changer les esprits, mettre fin aux querelles théologiques et ha.ter les progrés de la raison. Mais l'Europe dédaigneuse, «plongée dans un demi-savoir», a refusé les lec;;ons qu'elle pouvait rece– voir de l'Amérique 46 • Par le biais de considérations historiques, l'auteur du mémoire nº 12 47 , sans excuser ni Cortés ni Pizarre, affirme qu'ils ne sont pas plus coupables que ne le furent nos péres et que nous l'eussions été a leur place. Il présente la longue liste des sanglantes conquétes qui ravagérent l'Europe: que firent les Romains contre les Celtes et les Gaulois, et plus récemment les prétres chrétiens pour canaliser l'ardeur féroce dés nobles? Ils les exhortérent a conquérir la Judée et «les Croi– sés, armés au nom du Dieu de paix et de miséricorde, inondérent de sang l'Asie et une partie de l'Afrique». Cet auteur conclut, tout en n'excusant pas la barbarie: «Aucun de nous dans le XVéme siécle n'eut pu croire que des hommes qui refusaient de se faire baptiser eussent des droits a la vie et encore moins sur les terres qu'ils habitaient» 48 • L'explication est a la fois spécieuse et intéressante. Spécieuse d'abord: elle se fonde bien évidemment sur l'opposition un peu courte entre les ténébres et la lumiére. Faisait-il done si noir au XVéme siécle ou méme avant? On ne trouve chez Thomas d'Aquin aucun texte qui autorise a óter la vie pour cause d'infidélité ou qui permette l'appropriation de pays gouvernés par des souverains paiens 49 • Intéressante ensuite parce qu'elle relance la polémique sur le róle du prosélytisme chrétien qui n'a pas toujours entendu les injonctions contenues dans la Somme théo– logique. On sait en effet que Montesquieu accuse ce prosélytisme d'avoir encouragé dans leurs crimes les destructeurs de l'Amérique qui se sont abrités, pour commettre leurs forfaits, derriére le prétexte dévót de la / propagation de la foi 50 . 45 Ibid., p. 7. 46 Abbé Genty, op. cit., pp. 201-202. Parmi ces lec;ons on peut citer, selon cet auteur, l'absence d'esclavage né du despotisme, J'art de bien gouverner chez les Incas et l'art de «conquérir par la persuasion et le charme des bienfaits•. 47 Rec;u en avril 1787. 48 Ibid., fol. 112. 49 Sur cette question voir Somme théologique, II•. Jiae, question X, art. 8. 50 De l'esprit des lois, livre XV, chap. IV. L'abbé Raynal pousse plus avant la critique du christianisme qu'il accuse d'avoir contribué comme religion aux massacres perpétrés dans le Nouveau Monde: •Il est certain que l'exclusion que la religion chrétienne donne a tous les autres, quant a l'espérance d'une vie a venir, doit né– cessairement affaiblir et méme éteindre le sentiment qui nous porte a aimer nos semblables... C'est de la que les conquérants du Nouveau Monde ont inféré qu'ils pouvaient sans pitié massacrer des hommes qui n'étaient ni Européens. ni chrétiens. ni Castillans•. Histoire philosophique, édition de 1773, t. I. p. 5.

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